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Amendement Creton : une continuité de parcours pour jeunes adultes handicapés

Gregory Cousyn

September 10, 2025

Temps de lecture :

7 minutes

Deux hommes souriants échangent sur un banc dans un parc, l’un assis et l’autre en fauteuil roulant.
Médico-social / Social

L’amendement Creton permet à certains jeunes adultes en situation de handicap de rester temporairement dans un établissement d’éducation spéciale pour enfants après l’âge de 20 ans.

Un rapport remis à la ministre déléguée au Handicap en juin 2025, propose d’en rénover les modalités, soulignant les tensions croissantes dans les établissements pour enfants et les difficultés de transition vers le secteur adulte.

Dans cet article, nous revenons sur les règles d’application de l’amendement Creton : conditions d’éligibilité, démarches administratives, prise en charge financière, rôle de la CDAPH, ainsi que les points de vigilance à connaître pour les professionnels accompagnant ces transitions.

L’amendement Creton : de quoi parle-t-on ?

L’amendement Creton désigne une disposition juridique issue de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989. Elle permet à des jeunes adultes en situation de handicap de rester temporairement dans leur établissement d’éducation spéciale (de type IME) au-delà de l’âge limite réglementaire de 20 ans

Ce maintien n’est pas un droit automatique, mais une solution transitoire destinée à éviter toute rupture de prise en charge lorsque aucune place n’est encore disponible dans un établissement pour adultes (ESAT, EAM, FAM, etc.).

Autrement dit, le dispositif vise à garantir une continuité d’accompagnement pour les jeunes qui, faute de solution adaptée, ne peuvent pas immédiatement intégrer une structure pour adultes relevant de leur orientation CDAPH (Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées).

Ce maintien est strictement encadré par des critères et des modalités précises, tant du point de vue administratif que financier. Il repose sur une décision de la CDAPH et fait l’objet d’une prise en charge des frais d’hébergement par l’aide sociale départementale, sous conditions. 

C’est ce que nous allons détailler dans les sections suivantes.

Le cadre légal et administratif

Pour bien comprendre les mécanismes des amendements Creton, il est indispensable d’en situer les fondements juridiques et de décrypter le fonctionnement administratif qui régit leur application.

Un dispositif inscrit dans le Code de l’action sociale et des familles

Le dispositif repose principalement sur l’article L.242-4 du CASF, complété par des textes réglementaires comme l’article 22 de la loi n°89-18 du 13 janvier 1989, qui a formalisé ce droit temporaire au maintien dans les établissements pour enfants.

La CDAPH est l’autorité compétente pour rendre une décision d’orientation dans le cadre de l’amendement Creton. Elle peut ainsi autoriser le maintien provisoire du jeune adulte dans son établissement d’origine (souvent un IME) lorsque l’orientation vers un établissement pour adultes n’est pas encore réalisable.

La question du domicile de secours : un critère déterminant

Le financement de l’hébergement relève de l’aide sociale départementale, mais attention : c’est le département du domicile de secours (et non celui où se situe l’établissement) qui est compétent. 

La notion de domicile de secours, détermine donc quel département est responsable de la prise en charge financière.

Ainsi, le règlement d’aide sociale applicable est celui du département d’origine de la personne, ce qui peut parfois entraîner des différences d’interprétation ou de conditions d’attribution selon les territoires.

Un dispositif transitoire, non pérenne

Enfin, il est important de rappeler que l’amendement Creton ne crée pas un droit à long terme. Il s’agit d’une solution temporaire, activée uniquement en l’absence de places disponibles dans les structures adultes correspondant à l’orientation CDAPH. 

L’objectif est bien d’éviter les ruptures de parcours et non de créer une filière pérenne dans les établissements pour enfants.

Conditions d’éligibilité de l’amendement Creton

Pour qu’un jeune adulte puisse bénéficier de ce maintien temporaire en établissement d’éducation spéciale, il doit remplir à la fois des conditions personnelles et des conditions administratives liées au service d’accueil.

Critères liés à la personne

Pour bénéficier de l’amendement Creton, le jeune adulte doit répondre aux conditions suivantes :

  • Avoir atteint l’âge de 20 ans ou plus (âge limite théorique des établissements pour enfants)
  • Avoir reçu une décision d’orientation de la CDAPH vers un établissement médico-social pour adultes, tout en ayant une autorisation de maintien temporaire dans un établissement pour enfants ;
  • Présenter une incapacité permanente d’au moins 80 %, ou un taux compris entre 50 % et 79 % avec une reconnaissance officielle de restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi (RSDAE)
  • Résider de manière stable et continue en France depuis plus de 3 mois ;
  • Être de nationalité française ou étrangère en situation régulière, avec un titre de séjour valable
  • Disposer de ressources insuffisantes pour financer lui-même ses frais d’hébergement.
  • Justifier d’une recherche active de solution correspondant à l’orientation de la CDAPH, en cohérence avec le projet de vie de la personne.

Critères liés au service d’accueil

Le maintien dans un établissement d’enfants est également conditionné à l’habilitation de l’établissement par le président du conseil départemental. 

Autrement dit, il ne suffit pas qu’un jeune réponde aux critères personnels : encore faut-il que l’établissement dans lequel il est accueilli, soit habilité à recevoir de l’aide sociale départementale pour ce type de prise en charge.

Procédure de demande et constitution du dossier

L’accès au dispositif des amendements Creton repose sur une procédure administrative encadrée qui nécessite de constituer un dossier complet et de respecter certains délais. 

Voici les étapes clés à connaître pour les professionnels accompagnant les familles concernées.

Où retirer le dossier ?

Le dossier de demande d’aide sociale au titre de l’amendement Creton peut être retiré :

  • auprès du CCAS (Centre communal d’action sociale) ou du CIAS du lieu de résidence du jeune adulte
  • à la mairie
  • ou dans un centre médico-social.

Il est également accessible en ligne sur le site du Département concerné 

Comment constituer un dossier complet ?

Le dossier, une fois rempli, doit être accompagné d’un ensemble de pièces justificatives listées par le département (état civil, ressources, orientation CDAPH, justificatifs de résidence, etc.).

Point de vigilance : tout dossier incomplet (sauf motif valable signé par le président du CCAS/CIAS) est retourné au demandeur avec la liste des pièces manquantes. Une date butoir sera précisée pour compléter le dossier, faute de quoi la demande pourra être rejetée.

Délais et transmission

Une fois complété, le dossier est transmis avec avis motivé du CCAS/CIAS ou de la mairie au Conseil départemental, dans un délai d’un mois après le dépôt initial.

La date de prise en charge sera rétroactive, prenant effet à la date d’expiration de la précédente prise en charge, c’est-à-dire au jour des 20 ans du jeune adulte. Cette mesure vise à garantir la continuité des droits sans rupture dans l’accompagnement.

En cas de refus ou de litige

En cas de refus, une procédure de recours administratif préalable obligatoire (RAPO) doit être engagée avant tout recours contentieux. Ce point sera détaillé plus loin dans la section dédiée aux voies de recours.

Modalités de maintien en établissement

Lorsque l’amendement Creton est accordé, le jeune adulte peut continuer à être accueilli dans son établissement d’éducation spéciale, mais selon des modalités de prise en charge précises qui varient : selon son orientation, le type d’accueil (internat, semi-internat, externat), et les structures disponibles. 

Ces modalités ont un impact direct sur la facturation et sur les responsabilités des différents financeurs.

Typologie des orientations et conséquences financières

Trois grands cas de figure sont distingués selon l’orientation décidée par la CDAPH :

1. Orientation vers un établissement adulte relevant de la compétence exclusive de l’État

(exemple : ESAT sans hébergement, MAS)

  • Aucun financement par le Département.
  • La totalité du tarif journalier est prise en charge par la CPAM.

2. Orientation vers un établissement relevant de la compétence exclusive du Département

(exemple : EANM – foyer de vie, foyer d’hébergement)

  • Le tarif journalier est intégralement pris en charge par l’aide sociale départementale.

3. Orientation vers un établissement à compétence partagée État/Département

(exemple : EAM, ex-FAM)

  • Le Département prend en charge la part « hébergement ».
  • La CPAM prend en charge le forfait soins.

Amendement Creton - Prise en charge selon le type IME

Particularités selon les situations

  • Un jeune avec une orientation ESAT sans hébergement, mais accueilli en internat à l’IME → prise en charge intégrale par la CPAM, car l’orientation ne prévoit pas d’hébergement.
  • Un jeune en semi-internat, bien qu’ayant une orientation avec hébergement → le département n’intervient pas car il n’y a pas de nuitée.
  • En cas d’accueil temporaire pendant les fermetures de l’IME (week-ends, vacances), une convention peut être mise en place. Si l’accueil est choisi par convenance et que l’IME reste ouvert, le département ne prend pas en charge les frais.

Gestion des absences

  • Absence courte (1 à 3 jours) : journée facturée intégralement
  • Absence de plus de 3 jours (hospitalisation ou convenance) : tarif minoré du forfait hospitalier.
  • Absences injustifiées ou sanctions : journée non réalisée, non facturable.

Les établissements doivent comptabiliser avec précision les journées réalisées, notamment pour les stages ou les absences, afin de garantir la bonne facturation à l’autorité tarifaire.

Participation financière du jeune adulte

L’un des aspects pratiques à bien maîtriser dans le cadre de l’amendement Creton concerne la participation financière du jeune adulte

Cette contribution dépend du type d’accueil et vise à assurer une équité de traitement avec les autres bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement.

Principe général : participation liée à la présence

La participation financière due par le jeune adulte est calculée en fonction de sa présence effective dans l’établissement. Elle est versée directement à l’établissement, qui la reverse ensuite au Département.

Amendement Creton - Montants selon les types d'accompagnement

Le forfait hospitalier correspond au tarif fixé nationalement pour les hospitalisations, pris comme référence pour cette contribution.

Montant minimal laissé au jeune adulte

Afin de garantir un reste à vivre décent, la réglementation impose de laisser à disposition du jeune adulte :

  • au minimum 10 % de ses ressources mensuelles
  • et au moins 30 % du montant mensuel de l’AAH (Allocation Adulte Handicapé), même si ses ressources sont faibles.

Cela permet d’assurer une autonomie minimale pour les dépenses personnelles.

Cumul possible avec d'autres aides

Le dispositif d’aide sociale à l’hébergement dans le cadre des amendements Creton est cumulable avec :

  • La Prestation de compensation du handicap (PCH),
  • L’Allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP),
  • et la Majoration tierce personne (MTP).

En revanche, il n’est pas cumulable avec l’aide-ménagère attribuée au titre de l’aide sociale.

Durée et effets de la décision

Le maintien en établissement d’éducation spéciale au titre des amendements Creton s’inscrit dans un cadre temporaire et encadré, tant sur la durée de prise en charge que sur ses effets juridiques. 

Voici les éléments clés à retenir.

Une prise en charge sans rupture

Afin d’assurer la continuité des droits et éviter toute interruption de parcours, la prise en charge par l’aide sociale départementale prend effet à compter de la fin de la prise en charge précédente (autrement dit à partir du jour où le jeune adulte atteint ses 20 ans).

Cette mesure garantit qu’aucune période ne soit laissée sans couverture, notamment en attendant qu’une place se libère dans un établissement pour adultes.

Une durée calquée sur la décision CDAPH

La durée de la prise en charge est directement liée à celle prévue par la décision d’orientation rendue par la CDAPH. Autrement dit, tant que la CDAPH constate l’absence de solution d’aval, le maintien dans l’établissement d’origine peut être prolongé.

À noter : cette durée n’est pas illimitée. Elle peut être révisée en fonction de l’évolution de la situation ou lors d’un réexamen du dossier.

Notification et information des parties

Une fois la décision rendue, celle-ci est notifiée :

  • au demandeur ou son représentant légal (parents, tuteur),
  • ainsi qu’au service concerné (établissement d’accueil).

Cette notification déclenche l’entrée en vigueur des droits, notamment la facturation des journées prises en charge par le département.

Voies de recours et récupération des aides

Comme toute décision administrative, l’attribution ou le refus de l’aide sociale dans le cadre des amendements Creton peut faire l’objet de recours. De plus, des mécanismes de récupération des aides versées à tort ou en fin de vie existent. 

Voici ce qu’il faut savoir.

Recours contre les décisions administratives

Recours administratif préalable obligatoire (RAPO)

Avant tout recours devant le juge, le demandeur ou son représentant doit obligatoirement former un RAPO (Recours Administratif Préalable Obligatoire) dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du président du conseil départemental.

  • Ce recours suspend les délais contentieux,
  • l peut permettre un règlement à l’amiable du différend.

Recours contentieux

Si le RAPO est rejeté ou sans réponse dans un certain délai, un recours contentieux peut être engagé devant le tribunal administratif compétent pour le département concerné

  • Le recours doit être introduit dans un délai de deux mois après la réponse au RAPO.
  • La saisine peut se faire via la plateforme Télérecours citoyens : www.telerecours.fr

Le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Il n’y a donc pas d’appel possible. Un pourvoi en cassation peut toutefois être formé devant le Conseil d’État.

Mécanismes de récupération de l’aide sociale

La loi prévoit plusieurs cas dans lesquels le Département peut récupérer les sommes versées au titre de l’aide sociale :

1. En cas d’indu (versement à tort)

Si la décision a été prise sur la base de déclarations erronées ou incomplètes, un réexamen du dossier peut entraîner une demande de remboursement.

2. Sur succession

Le Département peut exercer un recours sur la succession du bénéficiaire, dès le premier euro. Cependant, aucune récupération n’est exercée si les héritiers sont :

  • Le conjoint
  • Les enfants ou petits-enfants
  • Les parents
  • Ou les personnes ayant assumé la charge effective et constante de la personne handicapée.

3. Pas de recours possibles dans certains cas :

  • contre les donataires (bénéficiaires d’une donation)
  • contre les légataires (héritiers par testament)
  • contre un bénéficiaire revenu à meilleure fortune
  • sur l’assurance-vie du bénéficiaire.

Amendement Creton : points de vigilance pour les professionnels

La mise en œuvre des amendements Creton implique une vigilance particulière de la part des établissements, des travailleurs sociaux et des accompagnants médico-sociaux. 

Plusieurs éléments méritent une attention spécifique pour garantir l’effectivité des droits et éviter les blocages administratifs.

Anticiper l’absence de solution d’aval

  • Il est crucial d’anticiper dès l’âge de 17-18 ans les démarches d’orientation vers des établissements pour adultes.
  • En cas de saturation du secteur adulte, la demande de maintien en IME doit être préparée suffisamment en amont avec la personne et sa famille pour éviter toute rupture de parcours.

Constitution rigoureuse du dossier

Un dossier incomplet est systématiquement retourné, entraînant des retards préjudiciables pour les familles… et parfois des conséquences financières pour les établissements si la prise en charge ne peut être rétroactive.

Les professionnels doivent donc accompagner étroitement les familles dans la collecte des pièces justificatives, en lien avec les CCAS, CIAS ou MDPH, afin de garantir un dossier complet dès le premier dépôt.

🟡 Conseil de bonne pratique :
Le dépôt du dossier relève de la responsabilité de la famille ou du représentant légal. En cas de non-dépôt ou de dépassement de délai, le surcoût des journées non prises en charge peut revenir à l’établissement.

 Il est donc vivement recommandé de demander à la famille un accusé de réception du dépôt auprès du CCAS ou CIAS. Cela permet de tracer la date de dépôt et de s’assurer que la démarche a bien été effectuée dans les temps.

Communication avec les familles

Les familles doivent comprendre que le maintien au-delà de 20 ans n’est pas un droit automatique, mais une solution exceptionnelle et temporaire, activée en l’absence de solution adaptée dans le secteur adulte.

Il est essentiel d’expliquer clairement :

  • les limites du dispositif
  • les implications financières (participation du jeune adulte)
  • et la nécessité d’un projet de transition, en lien avec l’orientation de la CDAPH.

🟡 Conseil de bonne pratique :
Pour sécuriser juridiquement le cadre de l’accompagnement, il est recommandé de faire signer un avenant au contrat de séjour à la famille, précisant les modalités du maintien provisoire.

Il est également utile de leur remettre une notice explicative claire et synthétique, notamment sur :

  • la durée du maintien
  • les conditions de participation tarifaire
  • les engagements de recherche de solution adulte.

Cette démarche contribue à une relation de confiance et permet de prévenir les incompréhensions ou contestations ultérieures.

Suivi administratif et facturation

  • Les journées réalisées, les absences ou les périodes de stage doivent être documentées et comptabilisées avec rigueur pour éviter tout litige avec l’autorité tarifaire.
  • La bonne communication entre établissements d’origine et d’accueil (notamment en cas de stage ou accueil temporaire) est essentielle.

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À propos de l’auteur

Gregory Cousyn

Grégory occupe le poste de Head of Customer Care & Quality chez Qualineo. Son parcours : ancien infirmier diplômé d’état ayant travaillé pour le Ministère des Armées, Grégory Cousyn intègre un établissement de santé où il occupait un poste de direction. Son expérience s’articule autour de l’optimisation des organisations pour développer les performances et l’activité d’un établissement, l’appui à la stratégie et la gestion de projets.