Les nombreux cas et décès dus au COVID-19 en EHPAD font la une des médias. Quand certains en prennent pour leur grade, d’autres sont montrés comme exemplaires.
Nous avons souhaité partir à la rencontre de ces soignants, agents hôteliers et logisticiens qui font face au COVID-19. Au travers de 3 interviews, nous nous intéressons aux mesures mises en place et à la vie en EHPAD dans cette période inédite. Concrètement, personnels et résidents, comment ont-ils vécu et vivent-ils encore aujourd’hui l’épidémie de coronavirus ?
Pour cette 1ʳᵉ interview, cap vers un EHPAD de 107 lits en Hauts-de-France. Le directeur nous raconte l’organisation déployée pour faire face au COVID-19 et protéger les résidents.
Quelle est la situation actuelle dans votre EHPAD ?
Nous n’avons aucun cas de COVID-19, et nous espérons ne jamais en avoir !
Nous sommes toujours en confinement aujourd’hui. Même si plusieurs activités ont repris, tout comme les visites, mais de manière très encadrée.
Depuis deux semaines, les animations en groupe reprennent. Nous établissons un roulement : pas plus de 3 à 5 résidents d’un même étage par animation, en fonction de leurs besoins et souhaits. Bien sûr, nous faisons attention au respect des mesures protectrices : distanciation sociale, nettoyage des mains et désinfection du mobilier avant et après chaque activité.
Nous avons également rétabli les repas collectifs. Mais 8 résidents maximum. De la même façon, nous établissons un roulement, et ce, par étage.
Quelles mesures ont été prises pour éviter la propagation du coronavirus ?
Les protocoles d’hygiène et de bio-nettoyage appliqués avant ont été renforcés dès le mois de février. Dès que nous avons entendu parler des clusters en Oise.
L’hygiène des mains a été renforcée, tant pour le personnel que pour les résidents.
Au début, les résidents continuaient à circuler comme ils le voulaient ; les familles venaient comme habituellement. Mais rapidement, nous avons fermé le rez-de-chaussée, et les visites ont été suspendues le 6 mars, quelques jours avant les annonces du Ministère de la Santé. Et, dès le 17 mars, l’isolement en chambre était inévitable.
Nous avons sectorisé les étages : chacun d’entre eux est devenu un espace de vie. Nous avons monté les kits d’animation dans les étages et avons établi des roulements, mais en fonction des besoins des résidents. Les animations se faisaient de façon individuelle ou sur le pas de la porte, pour maintenir la distanciation.
Côté équipements, nous avions le stock plan bleu : masques chirurgicaux, FFP2, surblouses, charlottes, solution hydro-alcoolique, etc. Stock qui a été renouvelé en cours d’épidémie. Mais comme tous les autres établissements, nous avons été confrontés au manque de masques. Il n’y en avait pas suffisamment au début. Le siège a mobilisé ses acheteurs rapidement, et l’État nous en a fourni.
Je pense que nous avons su prendre exemple sur nos collègues à l’étranger, qui ont essuyé les plâtres. Nous avons bien vu que telle ou telle mesure permettait d’éviter ou de diminuer le nombre de cas. Les expériences de nos voisins européens ont forcément joué sur la réactivité de nos établissements.
Comment les résidents de l’EHPAD vivent-ils cette situation ?
Les résidents ont compris les mesures et le vivent plutôt bien. Beaucoup de choses ont été mises en place par les soignants. Ils se rendent très disponibles.
Même si certains, qui ont des troubles cognitifs, ont perdu leurs repères. Alors qu’ils avaient l’habitude de rester dans un lieu de vie au rez-de-chaussée, devoir remonter en chambre a été un changement difficile.
D’ailleurs, le changement sera peut-être plus difficile lorsque les mesures d’isolement prendront fin. Certains, comme les plus casaniers, ont pris l’habitude d’avoir tout à disposition dans leur chambre. Quand ils sont arrivés dans l’EHPAD, ce fut difficile de les inviter à sortir de leur chambre et à participer à la vie collective. Arrivera-t-on à les faire participer de nouveau ?
Et les membres du personnel, comment font-ils face à l’épidémie de COVID-19 ?
Ce n’est pas tant le COVID-19, mais plutôt le changement d’organisation du jour au lendemain. Il a fallu un temps d’acceptation et d’adaptation.
Les fiches de poste ont été gelées. Et chacun est devenu polyvalent. Nous avons aussi renforcé certains postes, comme l’animateur, la psychologue et le kinésithérapeute pendant le confinement.
C’est une triple vie que l’on mène : professionnelle, personnelle et aussi une vie d’instituteurs à la maison quand on rentre du travail. Auxquelles s’ajoute une vie d’angoisse. L’angoisse que le virus arrive dans l’établissement, qu’on le fasse entrer et qu’on le transmette aux résidents. C’est aussi une anxiété liée à ce qui est dit dans les médias. Et les métiers des EHPAD en ont pris plein leur grade. Tout ce qui se passe hors établissement influence forcément sur la vie professionnelle.
Mais heureusement, nous pouvons compter sur l’esprit d’équipe qui s’est renforcé, et également sur le soutien des familles ou même de voisins et entreprises du coin. Nous avons reçu beaucoup de messages de soutiens, que nous avons accrochés et qui sont une source de motivation. Nous avons aussi reçu beaucoup de dons. Viennoiseries et chocolats, fleurs, dessins, poèmes, solution hydro-alcoolique, crème pour les mains, etc. Nous ne nous attendions pas à recevoir autant !
Aussi, nous avons mis en place des groupes de paroles avec la psychologue pour que le personnel s’exprime sur ses difficultés et angoisses.
On est en situation de crise. Il n’y a pas de mieux ou de moins bien, c’est comme ça. Avec une certaine pression. Nous restons très vigilants et exigeants sur les mesures barrières. Chaque semaine nous passons en revue nos checklists d’équipements, d’organisation, d’animation, de soins.
Nous nous remettons en question sans cesse, pour donner et trouver du sens dans nos actions, au moment voulu. Une décision prise il y a 3 semaines ne sera peut-être plus valable dans 3 jours. Nous sommes dans une situation de changement perpétuel. Alors nous nous adaptons et faisons au mieux pour nos résidents.
On se serre les coudes et on reste mobilisés.
Les familles ont-elles accepté ces mesures ?
Pour plusieurs familles, la séparation a été douloureuse. Nous avons dû dire non à des familles, ce n’est pas courant pour nous.
Comme nous avons mis en place ces mesures bien avant les annonces du gouvernement, on a un peu été pris pour des fous. Et puis le regard a changé. Les familles ont compris que c’était pour protéger au mieux leur proche du COVID-19.
Nous avions déjà mis en place des moyens de communication, que nous avons renforcé. Nous envoyons régulièrement des mails aux familles avec des photos et vidéos de leur proche. Le personnel de l’EHPAD a pris l’habitude d’en faire. Ça permet d’ailleurs de valoriser leurs actions, leurs métiers.
Et, toujours en premiers mots de chaque mail : « Tout va bien ».
Même si les familles peuvent se sentir frustrées – ce que l’on comprend – elles nous font confiance et elles nous soutiennent. Nous avons eu de nombreux messages et dons.
Depuis le 27 avril, les visites ont repris, à raison de 3 par jour. Dans un espace dédié, un temps limité de 30 minutes et en présence d’un membre du personnel pour respecter les gestes barrières. Les masques et tables limitent les contacts physiques. Ce n’est pas l’idéal pour des retrouvailles, mais les familles peuvent parler à leur proche, de manière sécurisée.