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Maltraitance à domicile : repères, outils et postures pour les professionnels de terrain

Gregory Cousyn

May 12, 2025

Temps de lecture :

8 minutes

Une porte blanche avec une poignée moderne en métal est entrouverte, révélant un intérieur flou.
Médico-social / Social

Les situations de maltraitance intrafamiliale sur personnes majeures vulnérables sont en nette augmentation, notamment à domicile, où elles restent souvent invisibles. 

Les professionnels de proximité (aides à domicile, infirmiers, travailleurs sociaux, coordinateurs) sont souvent les premiers à observer des signes de rupture ou de danger.

Pour les accompagner, la Haute Autorité de Santé a publié en 2024 un guide : Évaluation du risque de maltraitance intrafamiliale sur personnes majeures en situation de vulnérabilité et a organisé un webinar dédié à ce sujet

Objectif : fournir des repères clairs, des outils pratiques et une méthode d’analyse partagée pour permettre aux professionnels d’agir en sécurité, dans le respect des personnes et du cadre légal.

Cet article en propose une synthèse opérationnelle, pensée pour le terrain.

Comprendre la maltraitance à domicile

Avant de pouvoir repérer ou intervenir, il est essentiel de bien comprendre ce qu’est la maltraitance intrafamiliale et ce qui la distingue d’autres formes de violences ou de conflits familiaux. 

Ce n’est pas toujours évident sur le terrain, surtout quand les liens affectifs, la dépendance ou la loyauté familiale brouillent les repères.

Une définition depuis la loi du 7 février 2022

Depuis la loi du 7 février 2022, la maltraitance est définie à l’article L.119-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) comme :

« Tout geste, parole, action ou défaut d’action qui compromet ou porte atteinte au développement, aux droits, aux besoins fondamentaux ou à la santé d’une personne en situation de vulnérabilité, dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. »

Concrètement, cela signifie que même un silence, un oubli, une négligence peuvent être qualifiés de maltraitance, dès lors qu’ils interviennent dans une relation de soin ou de confiance, comme c’est souvent le cas à domicile.

La maltraitance peut être :

  • Intentionnelle ou non
  • Ponctuelle ou répétée
  • Individuelle, collective ou institutionnelle

Les différentes formes de maltraitance

Les professionnels rencontrent parfois des situations difficiles à nommer. Voici un rappel des formes principales de maltraitance, avec des exemples concrets issus du quotidien :

  • Physique : coups, contentions, secousses lors de transferts
  • Psychologique : humiliations, menaces, infantilisation, dénigrement
  • Sexuelle : gestes déplacés, attouchements, absence de consentement
  • Médicale ou médicamenteuse : oubli volontaire de soins, surdosage, absence de traitement
  • Matérielle ou financière : détournement d’allocations, vols d’argent, pressions pour signer des chèques
  • Par négligence : hygiène non assurée, repas non préparés, isolement prolongé
  • Discriminatoire : rejets ou maltraitances liés à l’âge, l’origine, l’orientation sexuelle, le handicap
  • Environnement violent : logement insalubre, cris permanents, conflits familiaux non maîtrisés

La maltraitance intrafamiliale : ce qui la rend spécifique

Dans un cadre familial, les repères sont souvent flous. Ce n’est pas un professionnel qui est maltraitant, mais un proche : enfant, conjoint, petit-enfant, frère ou sœur…

Ce contexte particulier crée plusieurs freins au repérage :

  • Le huis clos du domicile : la violence se joue sans témoins
  • Les loyautés familiales : la victime protège son agresseur
  • Le déni : "Ce n’est pas si grave", "C’est mon fils", "Il traverse une mauvaise passe"
  • L’emprise : la peur, la dépendance émotionnelle ou économique empêchent d’agir

Trois situations fréquentes à connaître

La HAS identifie trois formes particulièrement fréquentes de maltraitance intrafamiliale à domicile :

  1. Sur personnes âgées : souvent liées à la négligence, la précarité, ou des aidants dépassés

  2. Violences conjugales : difficiles à repérer, souvent banalisées, mais lourdes de conséquences

  3. Parents violentés : des situations méconnues, mais bien réelles, où un enfant (mineur ou majeur) exerce une violence sur son parent

Chacune de ces situations fait l’objet de grilles de repérage spécifiques présentées plus loin dans l’article.

Identifier les situations à risque

Avant même l’apparition de signes visibles, certains profils ou contextes de vie doivent éveiller la vigilance. 

Comprendre la vulnérabilité

Il ne s’agit pas seulement d’un handicap ou d’un grand âge. On parle aujourd’hui de “situation de vulnérabilité”, c’est-à-dire quand une personne, même lucide, ne peut plus faire face seule à ses besoins ou à ses droits.

Exemples concrets de situations à risque élevé :

  • Une personne âgée dépendante vivant avec un aidant unique (souvent un enfant ou un conjoint)
  • Une personne avec des troubles cognitifs ou psychiques (Alzheimer, bipolarité, dépression sévère…)
  • Une personne en incapacité de s’exprimer (aphasie, surdité, barrière de la langue)
  • Une personne isolée géographiquement ou socialement

À retenir 

La vulnérabilité n’est pas une faiblesse, c’est une situation évolutive, souvent contextuelle. Elle doit être prise en compte dans toute évaluation du risque.

Les facteurs de risque : ce qui peut fragiliser ou favoriser une maltraitance

Il ne s’agit pas de juger ou de pointer du doigt. Mais certains éléments de contexte ou de comportement peuvent alerter et méritent d’être croisés avec vos observations :

Chez la personne accompagnée :

  • Forte dépendance physique
  • Troubles cognitifs ou psychiatriques (Alzheimer, dépression, schizophrénie…)
  • Isolement social, repli sur soi, peur du jugement
  • Perte d’autonomie soudaine (chute, retour d’hospitalisation, fatigue extrême)
  • Discours flous, incohérents ou systématiquement minimisés

Chez l’aidant ou l’entourage :

  • Épuisement physique ou mental, surcharge de responsabilités
  • Addictions (alcool, médicaments, drogues)
  • Problèmes financiers importants, précarité
  • Conflits familiaux non résolus, antécédents de violence
  • Absence de relais ou de soutien extérieur (pas d’aide pro, pas de famille, pas de repos)

À retenir 

Un seul facteur ne suffit pas à conclure à une maltraitance. Mais plusieurs facteurs associés à un contexte de vulnérabilité doivent vous amener à vous poser des questions… et à en parler.

Les moments où le risque augmente : attention aux transitions de vie

Certaines périodes de transition ou de crise sont connues pour déstabiliser les équilibres familiaux et accroître les tensions :

  • Retour d’hospitalisation ou de séjour en EHPAD
  • Naissance d’un enfant (dans les cas de violences conjugales)
  • Décès, séparation, incarcération d’un proche
  • Entrée d’un jeune adulte en échec scolaire ou professionnel au domicile parental
  • Installation d’un proche “temporaire”… qui dure (souvent dans un contexte financier tendu)

À retenir 

En tant qu’intervenant·e, soyez particulièrement attentif·ve à ces moments-là, même si les relations semblaient “normales” jusque-là.

Et si je doute ?

Vous n’avez pas à poser un diagnostic. Votre rôle est d’observer, de documenter, de partager.

Posez-vous ces 3 questions simples :

  1. Est-ce que cette personne est dans une situation de dépendance ou d’isolement ?
  2. Est-ce que son entourage semble en difficulté ou en souffrance ?
  3. Ai-je observé un changement inhabituel (attitude, discours, environnement) ?

Si une ou plusieurs réponses sont “oui”, gardez une trace, alertez votre hiérarchie et échangez avec les autres professionnels si possible. 

Repérer les signaux d’alerte sur le terrain

Une phrase qui revient souvent chez les professionnels : « Je sentais que quelque chose n’allait pas, mais je ne savais pas quoi. » C’est exactement là que commence le repérage.

Repérer, ce n’est pas juger, ni enquêter. C’est observer, écouter, sentir et documenter ce que l’on perçoit. Et surtout, oser se faire confiance.

Ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens

Les signaux d’alerte peuvent être faibles, diffus, voire banalisés. Mais cumulés, ils dessinent une alerte claire. Voici ce qu’il faut regarder et écouter :

Chez la personne accompagnée :

  • Apparence négligée, vêtements inadaptés, odeur d’urine, manque d’hygiène
  • Plaies inexpliquées, bleus, douleurs somatiques à répétition
  • Perte de poids, fatigue, dépression visible
  • Discours confus ou incohérent : « Je tombe souvent… », « Je ne veux pas déranger… »
  • Anxiété, agitation, peur excessive d’un membre de la famille
  • Justification excessive : « Il fait de son mieux… » même quand la situation est critique

Dans la relation avec l’aidant ou un proche :

  • Présence intrusive lors des visites : la personne n’est jamais seule
  • L’aidant parle à la place de la personne
  • Ton condescendant ou agressif, gestes brusques
  • Tensions perceptibles, silences pesants
  • Contrôle de l’argent, des déplacements, des décisions

Dans le logement ou l’environnement :

  • Maison froide, sombre, encombrée ou sale
  • Aliments périmés, pas de repas préparé
  • Animaux nombreux ou maltraités
  • Objets cassés, traces de coups sur les murs ou portes
  • Absence de matériel médical pourtant prescrit

Des signes chez l’aidant ? C’est aussi un indicateur

Beaucoup de maltraitances sont liées à un épuisement, une perte de repères, ou une détresse chez l’aidant. Il peut lui aussi être en souffrance.

Soyez attentif à :

  • Un proche qui semble à bout, déprimé, sur la défensive
  • Un refus d’aide extérieure
  • Une consommation visible d’alcool, médicaments
  • Un discours du type : « Je n’en peux plus », « Elle fait exprès », « C’est moi qui fais tout »

Bon à savoir

Un aidant maltraitant n’est pas forcément malveillant. Il peut être isolé, dépassé, ou lui-même fragilisé.

Que faire selon le niveau de vigilance ?

🔵 Signes faibles : je reste attentif·ve, j’observe l’évolution de la situation, je prends des notes objectives et régulières

🟠 Signes cumulés : j’en parle à mon responsable, à mon coordinateur·rice ou à l’équipe si possible, pour partager mes observations

🔺 Signe rouge (danger avéré ou imminent) : je signale immédiatement la situation ou je fais appel à un relais compétent (médecin, service social, autorités)

Exemple de signe rouge : un hématome non expliqué, une personne terrorisée, une plainte directe, une mise en danger physique.

Retrouvez les 3 grilles de repérage de la HAS ici : 

⦿ Maltraitance sur personnes âgées – Grille de repérage

⦿ Violences conjugales – Grille de repérage

⦿ Parents violentés – Grille de repérage

Et si la personne nie ou minimise ?

C’est fréquent. La personne peut :

  • avoir honte
  • craindre des représailles
  • être sous emprise
  • ou ne pas se reconnaître comme victime.

Dans ce cas :

  • Ne pas forcer 
  • Montrer que vous êtes là, en confiance
  • Noter objectivement ce que vous observez
  • Créer un lien de confiance, ça prend du temps… mais c’est souvent décisif.

Quelques réflexes simples à adopter

✔ Laisser toujours la porte ouverte au dialogue
✔ Proposer un moment en tête-à-tête
✔ Poser des questions ouvertes : « Comment ça se passe avec votre fils ? », « Est-ce que vous vous sentez en sécurité ici ? »
✔ Utiliser le “je” : « Je suis un peu inquiet de ce que j’ai vu/entendu »

À retenir 

Si vous avez un doute, ce doute est déjà un indice. Parlez-en, partagez avec vos collègues ou responsables. Vous n’êtes pas seul.e. D’autres professionnels peuvent vous aider à évaluer, à faire le lien ou à signaler si nécessaire.

Évaluer la situation en toute sécurité

Repérer, c’est une première étape. Mais une fois qu’un doute sérieux s’installe, la question suivante se pose naturellement : 

  • Comment aller plus loin sans me tromper ?
  • Et surtout, comment ne pas mettre la personne (ou moi-même) en danger ?

C’est là qu’intervient la phase d’évaluation qui ne consiste pas à poser un diagnostic, mais à mieux comprendre la situation pour orienter la suite.

Créer les conditions favorables à la parole

Pour que la personne puisse se confier, le cadre de l’échange est aussi important que le contenu. Quelques conditions indispensables :

  • Être seul·e avec la personne (hors présence d’un proche ou aidant)
  • Être dans un moment calme, sans urgence ni stress
  • Adopter une posture bienveillante et non jugeante
  • Laisser du silence, reformuler doucement
  • S’ajuster au niveau de langage de la personne (et éviter les termes comme “maltraitance” trop tôt)

Des phrases simples qui ouvrent la discussion :

  • « Je me permets de vous poser une question un peu personnelle, mais c’est parce que je me fais un peu de souci pour vous. »
  • « Est-ce que tout se passe bien pour vous en ce moment à la maison ? »
  • « Vous sentez-vous libre de faire vos choix ? De dire non ? »

À retenir 

Si la personne nie ou évite, ne pas insister, mais garder une trace de vos observations et revenir plus tard si besoin.

Ce que vous pouvez chercher à comprendre (sans interroger comme un enquêteur)

1. La gravité des faits

  • Y a-t-il des blessures visibles ?
  • Des menaces verbales ou physiques ?
  • Un isolement total de la personne ?
  • Une peur palpable de l’entourage ?

2. L’impact sur la personne

  • Perte d’autonomie ?
  • Signes de dépression ou d’anxiété ?
  • Perte de poids, repli sur soi ?

3. La dangerosité de l’auteur présumé

  • Addiction, accès de colère, armes à disposition ?
  • Emprise, interdiction de sortir ou de parler ?
  • Antécédents de violence connus ?

Plus les faits sont répétés, graves, et sans soutien extérieur… plus l’évaluation doit alerter.

Associer la personne autant que possible

Même vulnérable, la personne doit rester au centre de la démarche. Son accord, son adhésion, sa temporalité doivent être respectés autant que possible.

✔ Lui expliquer pourquoi vous vous inquiétez
✔ Lui donner des informations simples sur ses droits
✔ L’encourager à faire des choix (même petits)
✔ Valoriser ses forces, ses appuis : une amie, un petit-fils, une aide-ménagère bienveillante…

Dans certains cas, c’est justement en l’aidant à reprendre du pouvoir sur des petites choses (choix des vêtements, sorties, rythme de vie) qu’on redonne un début de sécurité intérieure.

Travailler en équipe : vous n’êtes pas seul·e

Vous n’êtes pas censé·e gérer cela seul·e. Le croisement des regards est essentiel.

  • Parlez à votre responsable, coordinateur·rice ou médecin traitant si possible
  • Échangez (dans le respect du secret professionnel) avec les autres intervenants : aide à domicile, infirmier, assistante sociale…
  • En cas de doute fort : demandez une réunion de coordination, même informelle

Important 

L’évaluation doit précéder toute décision de signalement, sauf en cas d’urgence grave.

Et si la personne refuse de parler ?

C’est fréquent. L’emprise, la peur, la honte ou la dépendance affective bloquent la parole.

Dans ce cas :

  • Respecter sa temporalité, ne pas forcer
  • Continuer à créer du lien
  • Noter les faits de manière factuelle et objective
  • Préparer le terrain pour un futur échange

Bon conseil

L’objectif n’est pas d’obtenir une confession, mais de s’assurer qu’on a fait tout ce qui est possible pour la mettre en sécurité… même progressivement.

Ce que dit la loi sur le secret professionnel

Le secret professionnel protège la personne… mais il ne bloque pas l’action en cas de danger.

✔ Vous pouvez partager des informations avec d’autres professionnels impliqués dans l’accompagnement, à condition qu’elles soient utiles à la coordination ou à la sécurité de la personne
✔ En cas de danger grave ou immédiat, le secret peut être levé pour alerter (article 226-14 du Code pénal)

Conseil

Le guide de la HAS recommande de désigner un référent dans l’équipe ou le réseau pour centraliser les infos, coordonner l’analyse et organiser la suite.

Cet article pourrait vous intéresser : 

 ⦿ Secret professionnel en ESSMS : les informations clés à retenir

Accompagner les personnes maltraitées… et parfois les maltraitantes

Une fois le risque repéré et la situation évaluée, vient une phase délicate, mais cruciale : l’accompagnement. C’est là que tout peut se jouer : rétablir un équilibre, restaurer un minimum de sécurité, sans forcément passer par une rupture brutale. 

Accompagner une personne victime : patience, respect et soutien

Accompagner une victime de maltraitance, ce n’est pas lui dire quoi faire. C’est lui permettre de retrouver du pouvoir d’agir, à son rythme.

Ce que vous pouvez faire :

  • Écouter sans juger (« Je comprends que ce soit difficile. Ce que vous vivez n’est pas normal, mais vous n’êtes pas seul.e. »)

  • Valider sa perception (« Vous avez raison de vous poser des questions. Votre ressenti est important. »)

  • Informer sur ses droits (possibilités de porter plainte, aides financières, hébergement d’urgence, etc.)

  • Proposer des ressources utiles (associations locales, 3919, 3977, services sociaux de la mairie, CCAS…)

  • Respecter son rythme même si la personne “ne fait rien” dans l’immédiat, le lien que vous créez peut lui sauver la vie… dans un mois ou un an.

Prendre soin aussi de l’aidant… surtout quand il est en souffrance

Beaucoup de situations de maltraitance n’ont rien à voir avec la cruauté ou l’intention de nuire. Elles naissent de la fatigue, de l’isolement, de la détresse de l’aidant.

  • Un fils débordé qui crie
  • Une conjointe qui ne change plus les draps
  • Un proche aidant qui détourne un peu d’argent “pour compenser”…

Ce sont des signes d’épuisement. Et parfois, des maltraitances involontaires.

Comment accompagner un aidant à risque ?

  • Valoriser ce qu’il fait de bien, même si la situation est difficile
  • Proposer un relais (aide-ménagère, SSIAD, temps de répit)
  • Identifier ses besoins : dort-il ? a-t-il des soutiens ? est-il isolé ?
  • Parler de ses droits : congé aidant, aides financières, soutien psychologique

Parfois, aider l’aidant, c’est protéger la personne vulnérable.

Ne pas opposer victime et auteur : penser en système

Dans les situations intrafamiliales, les rôles sont rarement simples :

  • Un petit-fils dépressif hébergé chez sa grand-mère… et qui finit par la négliger (cf. cas d’Arlette dans le guide HAS)
  • Une mère isolée et fragile, victime de son fils adolescent violent (cf. cas de Mme H)
  • Un conjoint sous pression financière, devenu autoritaire ou brutal

 La violence ne s’excuse pas. Mais elle se comprend, pour mieux être stoppée. Accompagner, c’est prendre en compte l’ensemble du système familial, et tenter de recréer des liens protecteurs, quand c’est possible.

Agir sans précipiter

On veut souvent “sortir” la personne ou “faire un signalement” immédiatement. Mais sauf en cas de danger immédiat, la précipitation peut faire plus de mal que de bien.

  • Rester en lien, même discret
  • Travailler avec le médecin traitant, l’assistante sociale, les proches de confiance
  • Construire une mise en sécurité progressive : services à domicile, retour des repas livrés, aide administrative, etc.

Le rôle des proches “ressources”

Souvent, un membre de la famille peut faire la différence :

  • une sœur, une petite-fille, un neveu, un voisin bienveillant…

Dans les cas du guide HAS, ce sont souvent ces personnes “tiers de confiance” qui ont permis de débloquer la situation.

Soutenir les témoins aussi

Parfois, c’est un bénévole, un voisin, un collègue qui alerte. Il faut aussi les soutenir :

  • Les rassurer sur la légitimité de leur signalement
  • Leur proposer un relais
  • Prendre en compte leur souhait d’anonymat s’ils le demandent

Protéger et signaler : cadre juridique et bonnes pratiques

Quand le doute devient certitude, ou quand la situation vous semble grave ou dangereuse, vient une question délicate, mais incontournable :

  • Dois-je signaler ?
  • Ai-je le droit ? Suis-je couvert par la loi ?

Cette étape fait souvent peur. C’est normal. Mais vous n’êtes pas seul·e, et la loi encadre très clairement les droits et les devoirs en matière de protection des personnes vulnérables.

Secret professionnel… ou devoir d’agir ?

En tant que professionnel du secteur social, médico-social ou sanitaire, vous êtes tenu au secret professionnel. Mais la loi prévoit des exceptions. Quand la personne est en danger, vous avez le droit – parfois le devoir – de signaler.

Trois cas où vous pouvez / devez parler :

  1. La personne est en danger grave et immédiat (violences physiques, menaces, abandon…)

  2. La personne est vulnérable (âge, handicap, troubles cognitifs, dépendance) et ne peut pas se protéger

  3. Un mineur ou un autre adulte du foyer est aussi potentiellement en danger

Dans ces cas, le Code pénal (article 226-14) vous autorise expressément à partager des informations avec :

  • Le procureur de la République
  • Le médecin traitant
  • La cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP, pour les enfants)

Et vous ne pouvez pas être sanctionné.e si vous agissez de bonne foi.

À qui signaler selon la situation ?

  • Danger immédiat : appeler le 15 (SAMU), le 17 (police) ou envoyer un SMS au 114 (situation d’urgence silencieuse)

  • Maltraitance grave ou répétée : contacter directement le procureur de la République ou rédiger un signalement écrit

  • Suspicion concernant un enfant dans le foyer : faire une information préoccupante auprès de la CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes)

  • Doute important sans preuve concrète : en parler avec votre hiérarchie, un coordinateur ou un professionnel ressource (par exemple : médecin traitant, médecin coordonnateur, référent maltraitance)

Bon à savoir

Le guide HAS recommande de désigner un référent maltraitance dans chaque équipe ou structure pour accompagner ces démarches.

Comment rédiger un signalement ?

Rester objectif, factuel, sans interprétation. Il s’agit d’inclure :

  • Vos observations concrètes (pas d’hypothèses) : « Mme X présente un hématome ancien sur la joue droite, non expliqué »
  • Ce que vous avez entendu : « M. X m’a dit : “si elle parle, elle verra ce qu’elle verra” »
  • Les conditions de vie observées (hygiène, alimentation, isolement)
  • L’éventuelle posture de la personne concernée (peur, déni, minimisation)

Il est possible de joindre un certificat médical s’il existe, ou proposer à la personne de voir un médecin.

Et si la personne refuse l’aide ou nie les faits ?

C’est fréquent. Mais cela ne vous empêche pas d’agir si vous estimez qu’elle est en danger. Vous pouvez signaler sans son accord :

  • si elle est en situation de vulnérabilité
  • ou si vous pensez que sa vie ou sa santé est menacée

Dans ce cas, prévenez-la si possible, mais ce n’est pas une obligation légale.

Bon à savoir

La HAS recommande de travailler avec le médecin traitant, qui peut aussi évaluer la dangerosité, rédiger un certificat et faire le lien avec les autorités si besoin.

Où trouver du soutien ou des relais ?

Numéros utiles :

  • 3977 : écoute et soutien pour les personnes âgées ou handicapées victimes de maltraitance
  • 3919 : violences conjugales (appel anonyme et gratuit)
  • 17 / 114 : police, appel ou SMS en urgence

Structures de proximité :

  • CCAS (Centre communal d’action sociale)
  • CIDFF (droits des femmes et des familles)
  • MDPH, DAC, SAMSAH, assistantes sociales…
  • Associations locales (Croix-Rouge, ALMA, réseaux d’aidants…)

Et vous, professionnel : vous êtes aussi protégé·e

Article L.313-24 du CASF : aucune mesure défavorable (sanction, licenciement, mutation, etc.) ne peut être prise contre un salarié qui a signalé une situation de maltraitance. Vous avez donc le droit d’agir, d’alerter, de faire remonter, sans crainte de représailles professionnelles.

Et si vous vous sentez seul·e ou en insécurité : parlez-en. Votre hiérarchie, vos collègues ou votre référent bientraitance peuvent vous soutenir.

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Soutenir les professionnels du domicile

Repérer, évaluer, accompagner, signaler… Ce sont des actes forts. Mais ce sont aussi des actes émotionnellement exigeants, surtout quand on intervient seul, à domicile, face à des situations humaines parfois très lourdes.

Dans la lutte contre la maltraitance, les professionnels du terrain sont en première ligne. Mais ils ne doivent pas être les seuls à porter ce poids.

Un travail de proximité… mais souvent dans la solitude

Quand le professionnel entre chez une personne, il est :

  • parfois le seul adulte extérieur qu’elle voit dans la semaine
  • celui ou celle qui constate des choses que personne d’autre ne voit
  • un repère dans une routine bouleversée

Mais le professionnel est aussi confronté :

  • à des situations choquantes ou douloureuses
  • à des dilemmes éthiques (dois-je parler ? puis-je agir ?)
  • au risque de traumatisme vicariant (être affecté par les souffrances vécues par les autres)
  • à l’isolement professionnel : peu ou pas d’équipe sur le terrain, peu d’espace de parole

Se protéger pour mieux protéger

La HAS le rappelle : protéger les personnes vulnérables, c’est aussi protéger ceux qui les accompagnent. Ce qui peut faire la différence :

  • Temps d’échange entre collègues : pour ne pas “rester seul avec ses doutes”
  • Analyse de pratiques professionnelles (avec un psychologue ou un superviseur extérieur)
  • Groupes de parole ou de régulation
  • Formation continue sur la maltraitance, la bientraitance, le repérage

Exemples concrets :

  • Un SSIAD organise une réunion d’équipe tous les 15 jours pour aborder les situations difficiles
  • Un réseau d’aides à domicile propose une ligne d’écoute psychologique gratuite pour ses salariés
  • Une structure met en place un référent bientraitance et un binôme régulier d’intervenants pour éviter l’isolement

Et si un professionnel à domicile se sent en insécurité ?

Certaines situations peuvent faire peur :

  • Agressivité ou menaces d’un membre de la famille
  • Représailles redoutées après un signalement
  • Ambiance pesante ou dangereuse au domicile

→ Ces situations doivent être remontées immédiatement à la hiérarchie
→ Un professionnel a le droit de refuser une intervention à domicile si sa sécurité n’est pas garantie
→ L’employeur a l’obligation de protéger son salarié (évaluation des risques, DUERP, etc.)

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⦿ Risques professionnels des aides à domicile : les identifier, les prévenir 

Intégrer la bientraitance dans la culture d’équipe

La bientraitance est une posture professionnelle qui valorise :

  • Le respect de la personne
  • L’écoute
  • La vigilance partagée
  • L’amélioration continue des pratiques.

Conseil

Au-delà de l’obligation réglementaire, intégrer la prévention de la maltraitance dans le projet d’établissement ou de service, c’est créer un cadre clair, connu de tous, pour agir ensemble.

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À propos de l’auteur

Gregory Cousyn

Grégory occupe le poste de Head of Customer Care & Quality chez Qualineo. Son parcours : ancien infirmier diplômé d’état ayant travaillé pour le Ministère des Armées, Grégory Cousyn intègre un établissement de santé où il occupait un poste de direction. Son expérience s’articule autour de l’optimisation des organisations pour développer les performances et l’activité d’un établissement, l’appui à la stratégie et la gestion de projets.