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Accompagner la personne en mesure de protection juridique : décryptage recommandation HAS

Gregory Cousyn

October 14, 2025

Temps de lecture :

7 minutes

Un homme plus jeune accompagne une personne âgée en lui expliquant un document posé sur la table.
Médico-social / Social

Comment concilier protection, respect des droits et autonomie des personnes majeures protégées ? La recommandation de la HAS « Accompagner la personne nécessitant une mesure de protection juridique » publiée en décembre 2024 apporte des repères clairs pour les professionnels du social, du médico-social et du soin.

Au-delà du cadre juridique, elle invite à un accompagnement éthique, coordonné et inclusif, où la personne reste actrice de ses choix.

Dans cet article, on décrypte les grands principes, les outils concrets et les apports de cette recommandation.

Pourquoi une nouvelle recommandation HAS sur la protection juridique ?

Commençons par un peu de contexte. Face à l’augmentation du nombre de personnes sous mesure de protection juridique (plus d’un million en 2023 selon le ministère de la Justice) la HAS actualise ses repères pour mieux accompagner les personnes vulnérables tout en respectant leurs droits et leur autonomie.

Depuis la loi du 5 mars 2007, le droit de la protection juridique repose sur trois principes : nécessité, subsidiarité et proportionnalité.

Mais sur le terrain, les professionnels se heurtent souvent à des incertitudes : jusqu’où accompagner sans contraindre ? comment concilier sécurité et liberté ?

C’est pour répondre à ces questions concrètes que la HAS a publié une recommandation qui puisse apporter un cadre commun et opérationnel à tous ceux qui accompagnent une personne en mesure de protection juridique.

La RBPP vise à :

  • Clarifier les rôles et responsabilités des acteurs (juges, mandataires, établissements, familles, médecins)
  • Outiller la pratique quotidienne autour des actes de la vie courante, de la santé ou du budget
  • Promouvoir une approche centrée sur la personne, fondée sur la dignité, la participation et la bientraitance.

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RBPP HAS : les cinq grands principes à retenir

La recommandation de la HAS repose sur cinq piliers qui redéfinissent la manière d’accompagner une personne sous mesure de protection juridique. Ces principes offrent un socle commun aux professionnels, aux familles et aux mandataires pour garantir à la fois le respect des droits et le développement de l’autonomie.

1. Respecter les droits fondamentaux et la dignité de la personne

Le premier principe : toute mesure de protection doit s’exercer dans le respect absolu de la personne protégée. Cela implique de :

  • Préserver sa vie privée, son intégrité physique et morale, et sa citoyenneté
  • Garantir son droit de vote, sa liberté d’expression, de culte, de relations personnelles et de choix de vie 
  • S’assurer qu’elle soit informée et consultée avant toute décision qui la concerne.

La HAS rappelle que, selon la jurisprudence, 

« dans le silence ou l’ambiguïté des textes, ceux-ci doivent être interprétés dans un sens favorable à la capacité de la personne protégée ».
 

Autrement dit, la présomption de capacité doit toujours prévaloir : la personne peut agir, sauf si la loi ou le juge l’en empêche explicitement.

2. Garantir la subsidiarité, la nécessité et la proportionnalité

Une mesure de protection juridique ne doit être envisagée qu’en dernier recours. Avant toute ouverture, le juge et les professionnels doivent examiner les solutions de droit commun : procuration, mandat, accompagnement social ou familial, aides à domicile, dispositifs de santé ou d’inclusion.

Ces trois principes (subsidiarité, nécessité, proportionnalité) sont le socle du droit de la protection des majeurs :

  • Subsidiarité : la protection ne s’applique que si aucune autre mesure ne suffit à préserver les intérêts de la personne.
  • Nécessité : elle ne peut être prononcée que s’il existe une altération médicalement constatée des facultés.
  • Proportionnalité : elle doit être adaptée à la situation, ni trop légère, ni trop restrictive.

L’objectif est de préserver le plus possible la capacité d’agir de la personne, et d’éviter les mesures trop contraignantes ou systématiques.

3. Définir et soutenir l’intérêt de la personne

L’intérêt de la personne protégée » doit être construit avec elle. L’intérêt, selon la HAS, se situe à l’intersection de trois dimensions :

  • ce que la loi protège (sécurité, patrimoine, santé) 
  • ce que la personne exprime comme souhaits ou valeurs 
  • ce que les professionnels estiment juste et proportionné.

Ainsi, l’intérêt suppose un dialogue éthique où le professionnel aide la personne à mesurer les conséquences de ses choix, sans les lui imposer.

C’est dans cet équilibre entre autonomie, protection et prise de risque que se construit un accompagnement respectueux et réellement personnalisé.

4. Favoriser l’autonomie et l’autodétermination

L’un des objectifs centraux de la recommandation est de permettre à la personne de décider et d’agir pour elle-même, dans la mesure de ses capacités.  Cela implique de :

  • Reconnaître sa compétence à exprimer des choix, même si ceux-ci ne correspondent pas aux préférences du professionnel 
  • Encourager l’expression, la communication et la participation aux décisions 
  • Adapter l’environnement (outils de communication, accessibilité, médiation, soutien des pairs).

Le mandat judiciaire n’est pas une fin en soi : il doit être un levier d’autonomie, et non un outil de dépossession. La HAS souligne que la mesure doit évoluer (voire être allégée ou levée) lorsque la situation de la personne le permet.

5. Accompagner toutes les étapes de la mesure

L’accompagnement ne se limite pas à la mise en œuvre de la mesure. Il commence avant, se poursuit pendant et se termine après. La recommandation distingue plusieurs phases :

  1. L’anticipation – informer, évaluer, associer la personne et ses proches
  2. L’ouverture – recueillir l’adhésion, formaliser les objectifs et établir un document individuel de protection (DIPM) 
  3. L’accompagnement au long cours – coordonner les actions, soutenir la participation sociale et la citoyenneté 
  4. L’allègement ou la fin de mesure – réévaluer régulièrement la situation et préparer la sortie de la protection.

Cette approche globale permet de faire du parcours de protection un parcours d’émancipation, et non de dépendance.

Les apports concrets pour les professionnels

Au-delà des principes, la recommandation HAS fournit des repères pratiques et des outils opérationnels pour accompagner les personnes protégées au quotidien.

Ces apports visent à rendre la mesure de protection plus lisible, plus humaine et plus cohérente entre les différents acteurs, du juge au mandataire, en passant par les équipes médico-sociales et les familles.

1. Des repères pour la pratique quotidienne

La HAS a publié, en complément de la recommandation, une fiche pratique intitulée « Les actes de la vie quotidienne en pratique » ainsi que sa version en FALC Actes de la vie de tous les jours.

Elle répond à une question centrale : « Qu’est-ce qu’une personne protégée peut faire seule, et dans quels cas faut-il l’assister ou la représenter ? »

Cette fiche clarifie les droits et responsabilités de chacun autour de thèmes concrets :

  • Vie personnelle : mariage, parentalité, vie affective, choix du lieu de vie
  • Citoyenneté : droit de vote, vie associative, participation à la société
  • Santé : droit à l’information, consentement aux soins, confidentialité
  • Budget et patrimoine : gestion des revenus, signature de contrats, gestion bancaire
  • Logement : signature du bail, résiliation, vente ou déménagement.

Elle rappelle un principe fort : « S’adresser en première intention à la personne protégée et non à son mandataire. »

Autrement dit, l’autonomie reste la règle. Le mandataire n’intervient que si la loi ou la situation l’exige. Les professionnels sont invités à présumer la capacité d’agir de la personne et à mobiliser d’abord les outils de droit commun avant de solliciter le mandataire.

2. Des outils dédiés aux médecins

Autre apport majeur : la fiche pratique à destination des médecins inscrits sur la liste du procureur de la République. La fiche aide les praticiens à mieux situer leur rôle dans l’accompagnement global des personnes concernées, notamment lorsqu’ils sont sollicités pour :

  • Évaluer la situation médicale et l’altération des facultés
  • Rédiger le certificat médical circonstancié indispensable à la demande de protection ou à son renouvellement
  • Articuler leur évaluation avec celle des autres acteurs (mandataires, services sociaux, établissements).

La HAS y précise les critères d’évaluation (capacités cognitives, expression de la volonté, autonomie dans les actes essentiels, vulnérabilités sociales) et les bonnes pratiques d’entretien et de rédaction.
 

Ces repères viennent outiller une fonction clé du dispositif, souvent source de difficultés, en posant un cadre clair et partagé entre droit, éthique et clinique.

3. Un soutien renforcé aux mandataires familiaux et professionnels

Les mandataires familiaux représentent aujourd’hui plus de la moitié des mesures de protection. Leur rôle est essentiel, mais souvent complexe. La HAS met en avant :

  • La nécessité de mieux informer et former les familles sur leurs obligations et sur le fonctionnement des mesures 
  • L’importance des services d’information et de soutien aux tuteurs familiaux (ISTF), dispositifs régionaux permettant un accompagnement individuel ou collectif des proches 
  • La possibilité, pour les juges, de simplifier certaines obligations administratives (comme la tenue du compte de gestion) lorsque les revenus ou le patrimoine sont modestes.

Côté mandataires professionnels, la recommandation valorise :

  • La mise en place d’une formation diplômante (licence professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, depuis 2024)
  • Une charte nationale de déontologie et une obligation de formation continue 
  • Une meilleure coordination interprofessionnelle avec les établissements et les familles, au service d’un accompagnement global.

4. Favoriser la coordination entre acteurs

L’un des messages transversaux de la recommandation est la nécessité de coopérer entre :

  • Le mandataire et les professionnels de santé pour articuler accompagnement social et soins 
  • Les services médico-sociaux et familles, pour éviter les doublons ou les malentendus 
  • Les professionnels de droit commun et les spécialistes (juges, MJPM, médecins experts), pour fluidifier le parcours de la personne protégée.

Cette coordination passe par un partage d’informations raisonné, dans le respect du secret professionnel et par une culture commune de la protection comme outil d’inclusion et d’autonomie.

Une approche éthique et collaborative

La recommandation de la HAS invite à un changement de regard sur la protection juridique des majeurs. Il s’agit de passer d’une logique de contrôle à une démarche d’accompagnement partagé, fondée sur la confiance, la coopération et la réflexion éthique.

Mettre la personne au cœur des décisions

Au fil du texte, la HAS réaffirme un principe fondamental : la personne protégée reste un sujet de droits, pas un objet de décision. Chaque acte doit être discuté avec elle, dans la mesure de ses capacités et non décidé à sa place. Cela suppose de :

  • Reconnaître la singularité de chaque parcours : âge, handicap, environnement, histoire personnelle
  • Adapter la communication et les supports (langage simple, outils visuels, version FALC) pour favoriser la compréhension 
  • Encourager la participation active de la personne à son projet de vie, à son budget, à son logement, à ses choix de soins.

L’autonomie, ici, ne s’oppose pas à la protection : elle en est le moteur et la finalité.

Construire un accompagnement global et coordonné

La protection juridique s’inscrit dans un écosystème d’acteurs : juges, mandataires, familles, établissements sociaux et médico-sociaux, médecins, services sociaux, mais aussi voisins, amis ou associations.

La qualité de la mesure repose sur la cohérence et la fluidité des échanges entre ces intervenants. La HAS insiste sur plusieurs leviers :

  • La coordination interprofessionnelle (entre MJPM, équipes de soins, travailleurs sociaux) 
  • La cohérence des décisions entre les sphères administrative, sociale et judiciaire 
  • Le partage d’informations raisonné, dans le respect du secret professionnel et de la vie privée 
  • La mise en place de réunions pluridisciplinaires pour évaluer la situation, anticiper les changements et soutenir la cohérence de l’accompagnement.

Cette logique de coopération vise à éviter les ruptures de parcours, les malentendus ou les contradictions dans les décisions.

Un cadre éthique pour guider les pratiques

Les dilemmes éthiques sont au cœur du travail des professionnels :

  • Jusqu’où protéger sans contraindre ?
  • Quand respecter un choix risqué sans le juger ?
  • Comment arbitrer entre intérêt, volonté et sécurité ?

La recommandation invite à aborder ces situations dans un cadre collectif et délibératif, en s’appuyant sur des :

  • Espaces de réflexion éthique au sein des services mandataires ou établissements,
  • Échanges de pratiques entre pairs
  • Outils d’aide à la décision (chartes, référentiels, analyses de situations complexes).

L’enjeu est de passer d’une réponse purement juridique à une réflexion partagée, qui prend en compte la dimension humaine, affective et sociale des décisions.

Promouvoir une culture commune de la bientraitance

Enfin, cette approche collaborative s’inscrit dans une démarche plus large de promotion de la bientraitance. Elle invite les professionnels à :

  • Considérer la personne protégée comme acteur de son projet
  • Valoriser les compétences et capacités restantes, plutôt que les limites
  • Instaurer un climat de respect, de dialogue et de non-jugement.

Dans cet esprit, la HAS propose une lecture transversale de la protection juridique : un outil dinclusion sociale, au service du pouvoir d’agir et de la citoyenneté.

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À propos de l’auteur

Gregory Cousyn

Grégory occupe le poste de Head of Customer Care & Quality chez Qualineo. Son parcours : ancien infirmier diplômé d’état ayant travaillé pour le Ministère des Armées, Grégory Cousyn intègre un établissement de santé où il occupait un poste de direction. Son expérience s’articule autour de l’optimisation des organisations pour développer les performances et l’activité d’un établissement, l’appui à la stratégie et la gestion de projets.